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La décolonisation devient un concept à la mode dans les sciences sociales et même dans les milieux militants. Les inégalités entre les pays riches et les pays pauvres perdurent. La mondialisation favorise de nouvelles formes de dominations impérialistes. Ensuite, des populations subalternes luttent contre l’oppression subie dans leur propre pays, comme les luttes indigènes en Amérique latine ou le racisme institutionnel et post-colonial en France. L’intersectionnalité prétend analyser les intersections entre la race, la classe, la sexualité et le genre.
Sabine Masson alimente cette mouvance universitaire à travers son livre Pour une critique féministe décoloniale. Elle s’appuie sur l’observation de terrain, notamment des luttes des femmes indigènes au Honduras et au Mexique. Elle reconnaît donc en partie que l’intersectionnalité s’apparente à un bavardage universitaire déconnecté des enjeux politiques réels. Sabine Masson entend s’appuyer sur des pratiques de lutte pour élaborer sa théorie.
Lutter contre le postcolonialisme
En France et en Europe se développe un racisme anti-musulmans. Le vieux racisme biologique, fondé sur la hiérarchie des races, demeure discrédité. Mais un racisme culturel, respectable et de gauche se développe. Les musulmanes sont stigmatisées au nom du féminisme, de la laïcité et des valeurs républicaines. C’est l’ordre démocratique qui justifie l’exclusion d’élèves voilées. Ce racisme repose sur l’ethnicisation des questions sociales.
Sabine Masson évoque les théories autour du postcolonialisme. Cette nébuleuse universitaire reste influencée par les écrits d’Edward Saïd. Le langage, les représentations et les symboles hérités de la colonisation sont particulièrement scrutés. En revanche, les rapports sociaux de classes et les luttes sociales restent éludés par cette approche universitaire. « Dans cette optique, le passage aux postcolonial studies implique des contributions de plus en plus académiques, qui s’éloignent du fait matériel de la colonisation et des écrits des personnes colonisées, et font peu de place aux analyses matérialistes des rapports de domination et d’exploitation, au lien entre postcolonialisme et capitalisme », observe Sabine Masson. Elle privilégie une approche décoloniale qui vise à éradiquer les catégories et les rapports sociaux issus de la modernité coloniale.
Surtout, Sabine Masson articule cette approche décoloniale avec un regard féministe. Elle jette même un regard critique sur les limites des luttes de libération nationale qui tendent vers un renforcement de l’ordre patriarcal et de la morale sexuelle. « D’autres contributions ont souligné le développement d’un fort sentiment nationaliste après les luttes pour l’indépendance, fondé sur une approche morale et traditionnaliste du rôle des femmes, et contribuant au recul du mouvement des femmes, voire au renforcement, ces dernières décennies, d’un antiféminisme en lien avec la promotion d’une nouvelle identité nationale », rappelle Sabine Masson. Mais les occidentaux ont également tendance à renvoyer les femmes indigènes vers des clichés de soumission et à les considérer comme particulièrement arriérées. Certains textes féministes colportent une vision coloniale qui prétend civiliser les femmes indigènes et les guider vers le progrès. Féminismes indigènes
En Amérique latine, les ONG prétendent mettre en œuvre une politique féministe. Mais cette démarche se révèle inefficace, notamment pour lutter contre les violences faites aux femmes. Surtout ces ONG restent déconnectées des besoins des gens et des processus locaux. Cette démarche s’oppose à l’auto-organisation de la population. « Une telle politique de genre comporte un caractère ethnocentrique : elle s’adresse à des sujets qui semblent passifs et sans histoire émancipatrice propre », observe Sabine Masson.
Les politiques de développement imposent un modèle occidental et surtout capitaliste. La micro-finance, le micro-crédit et la micro-entreprise sont valorisés. Le développement durable, qui se présente comme simplement technique, révèle des rapports de pouvoir. Ces politiques s’opposent aux luttes indigènes et paysannes pour leur auto-détermination. « Les conflits agraires et territoriaux ne reflètent ainsi pas seulement des divergences d’intérêts économiques, mais également des visions antagoniques de ce développement dit durable (comment ? Pour qui ? Selon qui est-il conçu ?) », analyse Sabine Masson.
Le tourisme et son économie véhiculent également les clichés racistes et colonialistes. Les hommes doivent exécuter les basses besognes dans la division du travail. Les femmes sont réduites au rang d’objet folklorique et doivent se contenter de danser et de sourire en habit traditionnel. L’indigène est renvoyé un monde historique sans tenir compte des évolutions économiques et sociales.
Des mouvements de lutte indigènes se développent pour dénoncer les projets néolibéraux de développement. « En lieu et place, ils exigent le respect de l’autodétermination des peuples, et matérialisent déjà cette revendication à travers des marches, des occupations, des blocages contre l’implantation de grands projets ou par la construction de l’autonomie (alimentaire, éducationnelle, politique, judiciaire) dans des espaces communautaires », observe Sabine Masson. Hypocrisie de l’intersectionnalité
Le livre de Sabine Masson propose quelques réflexions stimulantes qui permettent une critique interne de la notion d’intersectionnalité. La chercheuse pointe la dérive théoriciste des études postcoloniales. - - - - - L’intérêt pour le langage et les représentations prime sur l’observation et l’analyse des mouvements de lutte.
En revanche, Sabine Masson s’attache à reprendre cette notion d’intersectionnalité sans montrer toute son hypocrisie. Race, genre, classe sont dénoncés de la même manière. Comme Angela Davis, Sabine Masson prétend ne pas hiérarchiser les diverses formes d’oppression. Mais, en réalité, l’intersectionnalité repose sur une hiérarchie. La race prime, puis le genre est évoqué, et la classe disparaît. Il suffit de se pencher sur les écrits de la mouvance d’une Houria Bouteldja pour faire ce constat. Le patriarcat et l’homophobie peuvent même être tolérés lorsqu’ils proviennent des indigènes. Quand à la lutte des classes, elle n’existe pas. Sabine Masson ne sombre pas dans ce délire et peut même évoquer les violences faites aux femmes au sein même de la population indigène. Un individu peut être à la fois oppresseur et opprimé.
En revanche, la lutte de classe disparaît. Seuls des mouvements contre le « néolibéralisme » sont évoqués. Mais les rapports sociaux capitalistes ne sont jamais attaqués. Sabine Masson livre de nombreuses pages pour déconstruire sa "blanchité". Jamais elle ne revient sur sa position sociale de chercheuse, de juriste ou de cadre dans l’éducation populaire. Les rapports sociaux de classe ne sont pas interrogés. C’est pourtant le plus important. Autant, il semble difficile de se défaire de sa "blanchité" même avec des séances de bronzages. Autant, il semble possible de remettre en cause sa position de classe et d’observateur sociologique pour adopter des rapports égalitaires avec les populations. Pourtant, pas une ligne ne concerne cet aspect.
Pour théoriser l’intersectionnalité, seuls des universitaires sont convoqués. Certes, la bibliographie se révèle plus féminine que dans la plupart des travaux de recherche. Néanmoins, ce ne sont que des universitaires bourgeois qui sont convoqués pour l’apport théorique. Sabine Masson prétend déconstruire sa « blanchité » au contact des populations indigènes. Vaste hypocrisie lorsqu’aucun entretien n’est réalisé et qu’aucun propos de la moindre femme indigène n’est cité.
Sabine Masson adopte la posture assez classique de l’universitaire qui observe les mouvements sociaux. Elle peut y participer, mais toujours en tant que juriste ou sociologue. En revanche, la parole des personnes en lutte reste gommée et confisquée. La disparition de la lutte des classes à travers l’intersectionnalité permet de conserver la posture en surplomb de l’universitaire. La chercheuse peut bien s’auto-flageller et se déconstruire de manière hypocrite du moment qu’elle monopolise le savoir et la théorie critique.
Au contraire, il semble important d’affirmer que la réflexion politique ne provient pas uniquement du savoir universitaire, mais surtout des mouvements de lutte. Les nouvelles formes d’organisation, les pratiques de lutte, les analyses du capitalisme et des rapports sociaux proviennent des luttes sociales. L’intersectionnalité reste déconnectée des luttes pour se contenter d'un folklore sans interroger les processus de changement social. Le municipalisme libertaire, l’autogestion du capital ou l’alternativisme zapatiste ne sont pas critiqués. Ce sont les mouvements sociaux spontanés qui doivent permettre de développer une critique radicale du capitalisme pour remettre en question l’ensemble des relations humaines. |
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Qui donc a la légitimité de décréter qui est libre ou pas ? Des mecs bien mecs et bien blancs qui refusent le partage du pouvoir avec les femmes ? Parce que moi, j’attends l’élection de la prochaine Présidente de la République laïque et féministe française.
Ou alors des féministes bien blanches s’appropriant le féminisme qu’elles ont hérité par le sang et qu’elles gardent bien jalousement ? Tout ça est bien colonial.
Et si on commençait par sérieusement foutre la paix aux femmes quel que soit le vêtement qu’elles ont sur leur corps ?
Donc, comme par hasard, des maires – mâles et blancs – décident d’interdire à des femmes l’accès à la mer (profitons de l’air avant qu’il nous soit interdit) car elles couvriraient trop leur corps par soumission à d’autres hommes. Ils décident ainsi de nous soumettre à eux pour nous libérer. Le premier ministre en personne les soutient dans leur délire. Nos (ir)responsables politiques s’ennuieraient-ils à ce point ?
On ne le rappellera jamais assez, on est à quelques mois des présidentielles, la courbe du chômage n’a toujours pas été inversée et elle ne risque pas de l’être parce que l’exécutif n’a rien d’autre à faire que s’attaquer à quelques femmes qui ont décidé d’aller profiter de la mer pendant leurs vacances. La liberté d’une femme ne dépendrait donc finalement que de l’identité du maître à qui elle décide de se soumettre ?
J’ai donc pour ma part décidé d’assumer ma soumission, dès lors que je choisis à qui me soumettre.
Sacré programme politique pour la France. On dépense tant d’énergie dans une chasse aux sorcières sans fin en la personne des femmes musulmanes qu’on en oublie volontairement l’état catastrophique du pays. On en oublie toutes les promesses électorales non tenues par le candidat Hollande, qui ne sort finalement de sa cachette que pour taper encore et toujours plus fort sur les musulmans en général et les musulmanes en particulier. Quel courage politique !
On en oublie qu’un gouvernement qui se dit socialiste vient tout juste de bousiller le droit du travail à coup de 49.3 en prenant le modèle très libéral de Thatcher au Royaume-Uni. Et qu’un gouvernement d’un pays dit laïque vient de gentiment nommer un nouvel Imam de France pour une religion – mais ce n’est pas le pire : ledit Imam a été trié sur le volet pour bien enfoncer les musulman-e-s. Sa première déclaration fut de nous demander d’être plus discrets. Et, cerise sur ce délicieux gâteau, l’Imam n’est même pas membre de la communauté de ladite religion – Sarkozy avait fait mieux, il faut l’avouer. Il a été parachuté et imposé comme si l’expérience du CFCM n’avait pas servi de leçon.
A chaque fois qu’on pense avoir atteint le fond et ne plus pouvoir aller plus loin, ils continuent donc de creuser plus profond. En même temps, il faut bien remplir ce vide dont la nature a parait-il horreur. Jusqu’à quand les musulman-e-s continueront-ils de remplir le vide politique et de donner l’impression aux politiques de ce pays qu’ils ou elles usent comme il faut de leur temps et de l’argent public ?
Si encore on se trouvait dans un pays où le patriarcat a été éradiqué, où il y a une réelle égalité femme/homme, je pourrait, avec un peu (beaucoup) d’efforts, essayer de comprendre cet acharnement sur l’islam et les musulman.e.s – sans forcément y arriver, car il y a tout de même une pensée que je n’arrive pas à chasser de mon esprit : le féminisme n’est pas censé imposer des interdits à des femmes. Mais il y a de toute façon tant à faire encore que je me contente d’halluciner devant autant de divertissement, masquant autant d’incompétence. Où en est-on de l’égalité salariale entre femmes et hommes à diplôme égal ? Qu’en est-il des femmes qui meurent – une tous les trois jours – sous les coups de leur conjoint ?
De quelle liberté parle Manuel Valls quand il déclare sans honte qu’en France les femmes sont libres, alors que nous continuons de subir le harcèlement de rue ? Alors que des hommes politiques harcèlent impunément leurs collaboratrices ? De quelle liberté s’agit-il ?
Mes chères sœurs musulmanes, je crains que nous soyons condamnées à servir encore un long moment à masquer l’incompétence de nos cher-e-s politiques en endossant le rôle de bouc émissaire. Il va falloir s’accrocher car ils et elles usent de grand moyens et sont presque toujours confortés par la justice. A moins que nous engagions une révolution radicale, parce qu’après tout qu’avons-nous à perdre aujourd’hui ? Une fois nos libertés restreintes au maximum et notre dignité piétinée chaque jour, que pouvons-nous encore attendre d’une société qui nous humilie encore plus chaque jour ? Sommes-nous prêtes à laisser nos enfants vivre demain ce que nous subissons aujourd’hui ? Qu’avons-nous à perdre ?
Le plus délirant, même si ce n’est plus étonnant, c’est que des féministes cautionnent cette mise à l’écart d’autres femmes, activement ou par leur silence, ou même comme l’inimitable Soeur Caroline Fourest en se déclarant contre les arrêtés anti-burkini tout en insistant lourdement sur le caractère rétrograde à leurs yeux du dit burkini. Tout cela parce que, nous disent-elles, nos choix vestimentaires traduisent une soumission, une vraie femme libre devant montrer un maximum de son corps. Plus on se découvre, plus on ferait preuve de liberté. La liberté se mesurerait donc, en proportion inverse, à la taille de nos vêtements. Notre corps n’est-il pas sensé nous appartenir ? Ne sommes nous pas censées disposer librement de nos corps ? Même si le choix déplaît et paraît incompréhensible. Les slogans des féministes des années soixante-dix (celui-là même dont elles ont hérité) seraient-ils périmés ? Ou bien réservés aux non-musulmanes ?
Soyons folles : émettons l’hypothèse un instant, mais un court instant seulement, que les femmes portant le voile ou le burkini le font par soumission, toutes. Depuis quand être féministe signifie taper sur des victimes ? Pourquoi tournez-vous le dos à des femmes à qui on impose la façon de se vêtir ? Pourquoi vous alliez-vous au système patriarcal contre des femmes ? J’ai toujours naïvement cru que les féministes étaient toujours du côté des victimes, du côté des femmes, de toutes les femmes, surtout quand on les voit comme des victimes.
Laissez-moi vous apprendre que vous n’êtes pas plus libres que celles qui couvrent leur corps de la tête aux pieds. Dois-je vous apprendre également que nous vivons dans une société patriarcale où les femmes ne cessent de négocier leur liberté et de se battre pour l’égalité avec les hommes ? Qu’à diplôme égal elles continuent de toucher un salaire inférieur à celui des hommes ?
Qu’elles s’habillent en mini jupe ou en burqa, avec un foulard ou en bikini, en robe longue ou courte, en décolleté ou exagérément couvertes, les femmes font ce qu’elles veulent ou ce qu’elles peuvent pour vivre au mieux dans une société imparfaite où l’égalité n’est qu’aléatoire et la liberté illusoire, redéfinies à chaque occasion en fonction des femmes.
Sachez aussi qu’une fille ou une femme portant le foulard n’a pas les mêmes libertés qu’une fille ou une femme ne le portant pas, tout simplement parce que l’accès à l’école publique lui est légalement interdit en France depuis 2004. C’est non seulement un droit fondamental qui lui est ôté dans un pays dit développé et démocratique mais également la seule chance, peut être, de se libérer de ses bourreaux ou tuteurs quels qu’ils soient, et accéder à la fameuse liberté que vous prétendez lui apporter.
Et l’école n’est qu’un espace parmi tant d’autres qui lui sont refusés dans ce beau pays de la déclaration des droits de l’Homme (blanc). D’ailleurs, notre fameux espace public français, il faudrait peut-être lui trouver un autre nom qu’espace public car il devient de plus en plus un espace réservé, une propriété privée, une zone interdite ou en tout cas une zone de contrôle du corps des femmes, surtout quand elles portent un foulard.
Chers hommes politiques qui vous découvrez une âme féministe face aux femmes voilées, quand vous lâcherez un peu de vos privilèges au bénéfice des femmes, on pourra commencer à se parler. Pour le moment je n’ai aucune leçon de féminisme à recevoir d’hommes blancs confortablement assis sur des privilèges qu’ils ne sont pas prêts à lâcher pour une réelle égalité, au-delà des textes de loi et autres paroles hypocrites.
Quant aux féministes blanches, c’est pareil finalement. Aucune leçon de féminisme à recevoir de femmes bien installées, prêtes à cautionner un système patriarcal qui tape sur d’autres femmes. Je serai prête à causer avec vous après décolonisation de vos esprits. D’égale à égale. Je pourrai même négocier un « camp décolonial » rien que pour vous !
J’ai décidé de choisir à qui je me soumets, et tenez-vous bien, ce ne sera ni aux hommes blancs, ni aux canons de beauté que vous voulez m’imposer. Économisez donc votre énergie, gardez la pour d’autres luttes plus urgentes et importantes que ma libération. Entendez moi : je suis soumise, et je l’assume pleinement, ne vous déplaise !